Dimanche 1° mai, ça va chauffer pour les Ironman…Depuis deux jours que nous sommes là, la météo a vraiment été mi figue mi raisin, à savoir un ciel de traine ou le soleil n’émerge que peu de temps pour laisser place à de gros grains brefs mais intenses ; ce qui n’est pas sans nous inquiéter pour la suite des évènements .Nous le savions, mais la fraîcheur nous surprend quand même, à tel point que nous emmenons les manchons de vélo et même les casaques ORT …au cas où…

La veille nous avons retrouvé les Calédoniens et eu à peine le temps de reconnaître la partie vélo en bagnole. Eric et Sylvia, motivés à donf sont même allés nager dans une eau limoneuse à souhait à 7 heures du mat pendant que moi, prudemment je préférais m’installer devant un solide petit dèj à l’hôtel à base de haricots rouges, saucisses, bacon, poisson grillé, tomates rôties et j’en passe, bref la totale…faut dire que la « baignade partie » je connais pour avoir donné les autres années.

Un mot sur l’organisation qui a été reprise cette année par un grand groupe d’hôtels du coin, après être passée successivement par deux autres consortiums : en un mot, décevante ! tout est décentralisé et apparemment les prétentions financières des organisateurs ont fait fuir pas mal d’exposants qui ne se sont pas déplacés. Bilan, on fait des économies, y’a rien à acheter ! La dotation elle aussi est minable, pas même un tee shirt compétitor !

Samedi après midi, on finalise le matos, on va poser les vélos et on se prépare à en baver vu les incertitudes liées à la météo. Si la veille, avec les 6 heures de décalage horaire plus les 4h30 de bagnole on a dormi comme des bébés il n’en va pas de même pour la nuit de la course, impossible de fermer l’œil, pas tant à cause de l’excitation mais plutôt parce que l’on est encore calé sur la Réunion et c’est plutôt coton de tenter un somme de huit heures à midi « horloge biologique »…à preuve, j’écris ce compte rendu lundi matin à 6h alors que je me suis levé à 4h45 pour laver le Scott, ne pouvant plus rester au lit .

Dimanche 4 h, lever des troupes. Il nous faut 10 mn à pied pour être sur le site à 5h30, il fait encore totalement nuit, Rapide inspection des vélos, on place les bidons remplis de potion magique et on bulle en attendant d’enfiler les combis de natation, en clair, on déambule parmi le parc à vélo, contact avec les Calédoniens , dont Patrick Vernay et son père. Craig Alexander ayant fait faux bond à la dernière minute, Patrick reprend la position enviée de favori, sachant qu’il l’a déjà gagné 3 fois d’affilée ainsi que Busselton, 2 fois, c’est d’ailleurs un jeu entre nous étant donné que sur tous les Ironman que j’ai disputé, je n’ai jamais vu d’autre vainqueur que lui…..à tel point qu’il serait ravi que je décroche Hawaï pour lui porter chance !!!

Les files s’allongent devant les sanisettes (moment de poésie vespérale et sportive) ; un boyau qui éclate en surpression au beau milieu du parc déclenche quelques sourires nerveux et du coup on doit bien être 150 à revenir tâter la pression de nos chères (très chères roues). Le coupable en est quitte pour réparer, juste ce qu’il faut pour se détendre à 30 mn du départ …ça aide !

Time to go ! on enfile les combis, on se tartine de vaseline à tel point que ça en deviendrait presque indécent et on commence à avancer en rang d’oignons et tassés comme des sardines vers le slip en béton de mise à l’eau. Le soleil n’est pas encore levé mais l’aube pointe déjà bien et on est heureux de constater que contrairement aux deux précédentes journées, le ciel est libre de tout nuage, il va faire beau ! Par contre, le vent s’est levé et on sent bien que ce n’est pas une simple brise thermique…on va en chier sur le vélo. Ambiance de guerre, toutes ces silhouettes noires et silencieuses en marche lente vers une eau glauque et froide, putain on se dirait dans le « retour des morts vivants »de 1955 en noir et blanc. Tous les canetons en néoprène rentrent à pas comptés dans la bouillasse de la Hasting river alors que la marée monte (condition siné qua non pour contrebalancer l’effet du courant) et à 6H25 au son du canon, tout le monde s’élance, ça va être la journée la plus longue de l’année, un long sprint de 8h20 pour les meilleurs et de 17h pour les pinces.

Eric est déjà positionné tout en avant avec les cadors, je reste dans le sillage de Sylvia, enfin, pas plus de trente secondes et la lessiveuse commence, 1200 gugusses tendus vers le même objectif, à savoir la première bouée du chenal placée à 400m, ça a tendance à se grimper dessus pire que des clebs en période de chaleur. Faisons là courte pour une fois, après la bouée j’arrive à me positionner à la corde assez vite et effectue mes deux tours règlementaires dans d’à peu près bonnes conditions, trouvant ma place au milieu d’ une quinzaine de nageurs au même faible potentiel que le mien et nous naviguons sur 3000M en prenant peu ou prou des relais , ce qui fait que je trouve toujours des pieds à emboîter devant moi quand il n’y en a pas un ou deux pour venir me taper les mollets. Retour vers le portique, à 300m, je me risque à jeter un œil sur le chrono et là, surprise, je suis en 1H12, mon objectif avoué étant de tenter les 1H15 je me prends à rêver et commence à donner des jambes comme un cinglé alors que je m’étais contenté de les laisser traîner depuis le début afin de les préserver pour le vélo et la C.A.P….mal m’en prends, ça dure exactement sur 3m et vlan deux magnifiques crampes aux mollets, c’est à hurler, surtout de rage, mes condisciples me déposent et me voilà sur le dos à envoyer les 2 bras en même temps pour ne pas rester idiot à faire du sur place…la galère totale ,sur le bord je les imagine déjà en train d’appeler les coast guards pour signaler une noyade… 45 secondes plus tard et avec 2 belles contractures me revoilà en piste et je sors en 1H19mn, exactement pareil qu’à Busselton, mais en eau salée.

Les choses sérieuses vont enfin commencer, le soleil brille, la route est large, l’air est pur et les filles sont belles, le public est au rendez-vous et ça gueule de partout, surtout quand l’aboyeur au micro envoie votre nom et origine à la cantonade, on se prend tout de suite pour Contador et on envoie la plaque direct. Premier tour de 90 bornes se décomposant grosso modo en 45 kils avec un vent à 30 km/H dans le nez et les 45 retour porté comme sur un tapis volant. Le paysage australien est magnifique, la température idéale mais en sus du zeff, le revêtement de la route est une vrai catastrophe, tôle ondulée et agglomérat de très gros grains ce qui procure des vibrations infernales qui se transmettent dans tous les muscles et tendons. Un coup à péter une fourche ou le cadre, mais bon, tout le monde est à la même enseigne et ce que j’en bave, les autres aussi le dégustent pareil. Je grignote peu à peu toutes les places perdues en natation et guette les coureurs sur le retour jusqu’à trouver Eric facilement reconnaissable à son casque à pointe vert pomme, seul de cette teinte sur toute la course, ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être repéré plus facilement par un marshall et se manger 5 mn de stop à la pénalty box pour être resté plus de 5 secondes dans le sillage de celui qu’il voulait doubler. A chaque croisement, j’arriverai à l’apercevoir à plus de 200m et on se gueulera des encouragements respectifs, sympa un peu de douceur dans ce monde de brute. Arrivé au demi tour j’aperçois Sylvia qui me croise avec 400m de champ, le vent m’est maintenant favorable, on peut envoyer la sauce. Trois virages plus loin, elle a disparu et pendant les 30 bornes qui vont suivre, je me poserai la même lancinante question : où donc a-t-elle disparue, j’envisage toutes les solutions, arrêt pipi, crevaison, gamelle dans le bush, voire même « abducted by aliens »….. en fait elle m’a placé une telle mine qu’elle me plantera 20 mn sur le temps vélo car tout va bientôt se dégrader rapidement pour ma pomme. Instant de grâce, dans un virage en plein bled, je crois rêver, sur ma gauche une troupe de 6 ou 7 kangourous, des grands, les big red kangoos, ceux qui passent les 1,50 arrivent sur moi comme des avions et je mets plus de 2 secondes à apercevoir la clôture….putain, ce frisson qui me ratatine les cacahuètes, le même que quatre ans plus tôt avec une bande de chameaux au détour du golf qui avaient failli m’envoyer au tapis de surprise. L’Australie est pleine de surprises.

Bref, retour sur Port Macquarie et passage obligé par la seule « bugne » du circuit, un rapaillou de 200m à 17% qu’il faut négocier sur l’élan, (Eric le foirera complètement lors de son premier tour et n’ayant pas pu descendre de plateau il se le cognera sur la plaque tel Richard Virenque à la grande époque sous les applaudissements soutenus des Aussies, y’ pas à dire c’est quand même lui qui tient le maillot à pois à l’ORT !!!) je le prends confortable en montant bien sur les manivelles et catastrophe je me retrouve en haut avec les deux cuisses bloquées par la contracture du siècle.Ca ne passe pas et je me tape le retour sur le centre ville en moulinant comme un fou tout à gauche afin de vider le lactique des muscles tétanisés, je comprends à ce moment là que le beau rêve de performer en 12H30 vient de prendre fin et qu’il me faut maintenant changer de tactique radicalement et « assurer » comme on dit, finir, et finir propre à tout prix pour éviter l’effondrement connu il y a deux ans à Busselton »….l’angoisse monte mais les précédentes expériences portent leurs fruits, je décide donc de me taper la deuxième boucle de 90 bornes en moulinant et en pensant aux conseils d’Olive , référence dans le club en matière de façon intelligente de propulser un engin à deux roues. Et c’est parti pour plus de 3h de petit plateau afin de préserver les fibres musculaires et de me laisser encore un peu de viande pour me permettre de sortir le marathon. Je gamberge un max sur mes chances de finir propre et m’applique à me préserver, plus question de jouer les cacous, je me suis ruiné les cuisses au premier tour dans l’euphorie de l’ambiance, maintenant que la sanction est là, faut gérer et faire avec. Le vélo est posé en 6H53mn, temps de merde, en fait j’espérais ré-éditer Busselton et ses 6h10mn…..pour référence Eric pose en 5.19 en comptant ses 5mn de pénalité et Sylvia en 6.33.

Transition moyenne, j’essaye de ne pas faire de gestes trop brusques en mettant les Asics , surtout ne pas provoquer de contractures, et c’est parti pour 42,195 km de courette.Le public répond présent et le temps est toujours beau mais avec l’après midi qui s’avance la fraîcheur s’installe, tant mieux, je ne risquerai pas l’infarctus comme y’a deux ans sur la côte ouest…je ne dirai pas la même chose dans 3 h ….Les 14 premiers kils sont envoyés sans problèmes au petit trot, le physique est bon, les jambes tiennent, la médication du deuxième tour de vélo porte ses fruits. Je croise Eric qui est en dans son troisième tour et qui tourne en 14 à l’heure sans problèmes et Sylvia qui termine son premier tour avec 7 kils d’avance sur moi , puis Théo Résutek, un pote calédonien qui me torche toujours sur la nat et sur le vélo mais que je reprends toujours à pied, ça fait 4 ironman que ça dure, je ne vois pas pourquoi ça changerai ce coup ci.

Passage du semi, déjà 20 bornes de cassées et je tombe sur Théo qui finit sur un banc avec son assistance, Bernard Laigle en l’occurrence, encore un pote calédonien (semi légende ironman quand même ) qui lui sert de la potion magique de polonais : un verre de bière !!! c’est la tradition pour Théo, 13 fois finisher et 3 fois à Hawaï …il a la santé quand même, mais d’habitude il nous fait ça dans les derniers 5 kilomètres, là, il en a encore plus de 21 à boucler et je ne la sens pas très fort ….mais bon, je reprends la route après une photo de groupe, au point où j’en suis , autant avoir des souvenirs. Les jambes commencent à devenir douloureuses , les ressauts du chemin font vibrer tout le corps et comble de malheur, avec l’obscurité qui arrive, le froid s’installe sur un corps de plus en plus douloureux et trempé de sueur. Je suis en course depuis avant le lever du soleil et maintenant qu’il se couche la dégradation physique devient problématique ; le froid anesthésie mais fait perdre la motivation, au dernier ravitaillement, à la surprise des volontaires je suis passé derrière les tables et j’ai déchiré un carton d’oranges pour me le glisser sous la combi tri fonction sur la poitrine, ça a déjà fait ses preuves y’a 3 ans ainsi que dans une descente de Cilaos sous la pluie mais ça ne suffit plus, je commence à greloter. Deuxième passage devant la ligne d’arrivée où je peux apercevoir le boulevard de la gloire sur ma droite mais je ne peux l’emprunter vu qu’il me manque encore deux bracelets au poignet signifiant que j’ai bien complété le parcours, Eric est là, il a fini en 9h50, atteignant ainsi son objectif de terminer en moins de dix heures et comme on en fera l’analyse ensuite, la même course sur le profil d’Afrique du sud lui aurait aisément valu un temps proche de 9h30.Eric, mon sauveur !!!! je pèle de froid et lui est bien au chaud dans sa polaire on conclue rapidement le deal, je boucle les deux kils suivants et me retrouvant à l’opposé du circuit, dans une nuit désormais noire, il m’attend avec une polaire roulée en boule à 20 m d’un marshal qui veille, si je me fais piquer à prendre une assistance extérieure, c’est l’élimination assurée mais sans protection, je n’aurai pas les ressources de terminer. Bingo, ça marche, je m’habille en repartant au trot mais ça ne le fait pas vraiment, je risque de casser, comme maintenant l’objectif est de terminer et plus de performer, je décide d’adopter la marche rapide style grand raid qui me réussit particulièrement bien et que mon expérience de montagne me permet de tenir des heures sur des kilomètres. Je m’envoie ainsi les 18 kilomètres suivants au pas de chasseur alpin que j’estime entre 6,5 et 7 à l’heure, penser au balancé de bras et au déhanchement, ça passe, à tel point qu’un concurrent doublé alors qu’il trottine me lance un « C’est illégal de marcher si vite sur un Ironman ! » entre temps je recroise 4 fois Sylvia qui après un léger coup de mou au trentième kilomètre reprend du poil de la bête et maintient allègrement ses 7 kils d’avance sur moi, certainement les patates bouillies de son ravito « spécial needs »(méthode Djack Rouquette)A chaque fois on s’encourage mutuellement et on sent que la fin est proche, dernier tour, à chaque passage à proximité du boulevard de la gloire c’est toujours la même putain de montée d’émotion, ces centaines de personnes qui toute la journée ont été là, présentes pour nous soutenir et hurler notre prénom bien visible sur les dossards, avec les mêmes cris, Good job !, Fantastic, ou encore You’r amazing, go on !, bref, on est porté, soutenu, projeté en avant et chaque encouragement aide à remettre la machine en route, rien n’y fait, on ne peut pas s’empêcher d’accélérer alors, et de monter dans les tours, le cœur étreint et la tête pleine de tous ces cris. C’est aussi ça l’iroman, cette journée qui paye les quatre mois de privation et d’effort, tous ces samedis et ces dimanches à mettre le réveil à 5 heures du mat pour s’envoyer des 5 à 6 heures de vélo ou des séances de course à pied qui n’en finissent pas et qui nous laissent exsangue le soir venu, hébétés devant un programme télé qu’on ne peut même plus suivre tellement qu’on en devient idiot (quoique pour moi y’a pas trop de difficulté, c’est une qualité intrinsèque au bonhomme) Bref, j’attaque le dernier tour en pleine euphorie, je sais depuis que j’ai posé le vélo que je vais être finisher une fois de plus et c’est suffisant à mon bonheur, ça me paye des derniers mois, cette journée est LA journée de l’année, celle qui va me faire passer l’année qui vient .

Derniers 80 m, le virage sur la droite, les 4 bracelets en pogne, j’enclenche la surmultipliée et repasse au dessus des 10 à l’heure, c’est la gloire, des gradins de chaque côté, quelques centaines d’afficionados du triple effort, une belle moquette siglée et c’est le bonheur absolu, je sais par expérience que ces 40 secondes éphémères vont rester gravées dans ma tête pour le reste de ma vie et décideront encore du reste de ma carrière sportive, une fois de plus, les hurlements du public et l’aboyeur au micro au bout de la piste qui crie mon nom en concluant par un tonitruant « You’r an Ironman » me paye de tous mes efforts et de toutes mes souffrances passées présentes et à venir. C’est ça l’ironman !!!!!!! que l’on soit premier ou dernier, on reste un ironman pour la vie, Eric est 48 eme au général, il loupe malheureusement le slot pour Hawaï d’une place, Sylvia améliore de plus d’une heure et demi son temps de base, quant à moi, passée la première émotion de déception, je renoue avec le tapis de la victoire qui m’a échappé à Busselton à cause de la chaleur et je retrouve une sensation de confiance qui me faisait défaut depuis ce funeste 5 décembre où l’odeur du sapin s’était bien fait sentir…Derniers mètres, les bras bien levés, le sourire carnassier, les applaudissements plein la tête et comble de bonheur, pile en face sur la tribune d’honneur, Eric et Sylvia, quasiment ma famille d’adoption qui ont réussi à s’incruster pour mon arrivée et qui filment le tout.

Dernier pas, la ligne, la médaille, la serviette sur les épaules et l’accompagnement traditionnel comme tout le temps dans ces conditions extrêmes. La photo du finish, le massage, tout est bouclé, y’a plus rien à dire, on est heureux, point c’est tout. WE DID IT !


Demain départ pour Sydney, trois jours à balader les Salesses avant de filer sur Nouméa où nous attend l’international du 8 mai, encore une belle galère en Courte Distance mais où nous sommes attendus en temps qu’invités et où l’on va encore se ruiner la santé….à la remise des prix à proximité de la tireuse à bière !

Retour prévu sur la Réunion le 17 couverts de gloire et d’honneurs.

On vous embrasse à tous et à toutes.

IRONROUROU.